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Jocari (latin iocari s’amuser, iocus jeu)

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Du prestre et des II ribaus (XIIIe si?cle)

© BnF

"du prêtre et des deux voleurs"

Texte
Si vous dirai de .II. ribaus
Dont li uns ot à non Thibaus
Et l’autre apeloit on Renier ;
Onques ne gaaigna dernier
Que li dez ne li retousist,
et ses compains ne revousist
Onques nule autre chose fere
(…)
.I. jor s’en alerent andoi
Tout lor chemin grant et plenier,
Thibaus en apela Renier
Et li dist : « Tu ne sez, compaing,
Que je fis ersoir biau gaaing
A Briset, le frere Chapel ?
Onques ne li remest drapel
Que tout ne perdist sanz recul
Comme les braies de son cul.
(…)
− J’ai », fet Thibaus, « uns dez mespoins,
Qui tuit sont de .II. et de troies,
Que j’aportai l’autrier de Troies,
Dont j’ai mon ribaut desgagié.
(…)
Si comme il aloient plaidant
Li uns à l’autre tout à plain,
S’encontrerent .I. chapelain
Seur .I. bai palefroi amblant,
Apert et de haitié samblant ;
Ainçois qu’il les puist saluer,
L’ont il aati de juer,
Quar d’autre chose ne lor est.
« Trop auroie petit conquest
A jouer à vous, ce me samble,
Quar andui n’avez mie ensamble
Qui vaille .x. tornois clavez.
(…)
− Soit bien, ja por ce li tornois
Ne faudra. Vez là por le dé,
Qui lait si lait ! soit en non Dé ! »
Fet Thibaus, « j’en ai pour tout dis. »
− De cheance soit .I. toz dis »,
Fet Reniers, « que Diex vous maintiegne !
(…)
− J’ai .XII. », fet Thibaus, « à deus.
Je ne vueil mie couchier trop,
Je le tendrai cest premier cop.
− Et je .VII., voiz comme or l’ai bone ;
Ce m’est avis que Diex me done
La pior qu’il i puet eslire.
− Mauvesement seüs eslire »,
Fet Thibaus, qui fu deslavez ;
« Vez là .XII., perdu l’avez,
.Iiii. devez, hasart encore.
− Va », fet il, « male mort t’acore,
Hoche le dé, ne laisse mie.
− Certes, sire, n’en sai demie,
Quar onque de ce riens n’apris. »
Les dez ainz que l’argent a pris,
Si les estrique, puis li change ;
Le geu croist toz dis et engrange.
« Hasart, Diex ! » fet il, « j’ai là sis.
− Va, si te pent, tu l’as assis,
Je ne t’en paierai ja point,
Je cuit que ce sont dé mespoint,
Dont tu ici quigné le m’as.
− Non sont, sire, par saint Thomas. »
Si l’en remoustre une autre père,
Et li chapelains les apere,
Si les trueve quarrez et droiz.
« Par le cul Dieu », fet il, « c’est droiz ;
Je l’ai perdu, ce m’est avis ;
Or est toz mes argenz ravis ;
Que plus n’en ai petit ne grande.
Encore l’oi je orains d’offrance :
Si ne l’aurai de qoi secorre
S’au geu ne faz mon cheval corre ;
Mès certes ainçois li metra je
Que je mon argent ne ratra je.
Getez aval, .XII en i voist ! »
Et cil, qui bien les dez connoist,
Tient tout, ne va rien refusant.
Que vous iroie je plus contant ?
Si bien fu esforciez li jus
Que li prestres a tout mis jus :
Tant exploita li bons vassaus
Que sor le cheval ot .c. saus.
(...)

Transcription extraite de : Recueil général et complet des fabliaux des XIIIe et XIVe siècles. T. 3 / publ. par M.M. Anatole de Montaiglon et Gaston Raynaud, 1872-1890, p. 58svv.

Traduction (libre)
(...)
Je vous parlerai de deux coquins dont l’un s’appelait Thibaut et l’autre Régnier. Jamais le premier ne gagna un seul denier sans le reperdre aux dés et son compagnon ne voulut jamais faire autre chose.
(…)
Un jour, ils marchaient tous les deux sur le grand chemin ; Thibaut s’adresse à Régnier et lui dit :
« Sais-tu compagnon, qu’hier soir, j’ai bien plumé Briset, le frère de Chapel ? Il ne lui est pas resté le moindre vêtement : il a perdu jusqu’à ses braies !
(…)
− J’ai un jeu de dés mal marqués dont toutes les faces font deux ou trois. Je les ai rapportés l’autre jour de Troyes et c’est avec eux que j’ai vidé les poches de mon ribaud !
(…)
Comme ils cheminaient en discutant ainsi l’un l’autre, ils rencontrèrent un chapelain (…)
« Je gagnerais bien un peu à jouer avec vous car j’ai idée qu’à vous deux vous n’avez pas même en poche dix malheureux deniers tournois !
(…)
− Soit ! Marchons pour les deniers tournois. Voici les dés. Gagne qui pourra et à la grâce de Dieu ! réplique Thibaut en jetant les dés. En tout, j’ai dix !
− Puissiez-vous réaliser cette chance de dix au premier coup ! fait Régnier au prêtre. Que Dieu vous aide !
(…)
Douze, fait Thibaut. Je mise deux deniers : je n’ai pas intérêt à trop mettre en jeu sur ce coup-là ! (En aparté : Je vais le piper du premier coup !)
− Et moi, sept ! Voyez comme j’ai de la chance ! J’ai l’impression que Dieu me donne la pire qu’on puisse avoir !
− C’est un coup de malchance, fait Thibaut d’un air faussement navré. (Il joue à son tour.) Regardez : douze ! Vous avez perdu ! Vous devez quatre deniers. (Il rejoue.) Et hasart !
− Va ! fait le prêtre, puisses-tu être maudit ! N’oublie pas de secouer les dés la prochaine fois !
− Volontiers, sire. Je n’en savais rien car je n’ai jamais appris les règles ! »
Il ramasse les dés avant même de prendre l’argent, fait mine de les secouer et leur substitue les dés truqués qu’il tend au prêtre. La fièvre du jeu reprend le dessus.
« Hasart ! Par Dieu, fait Thibaut, j’ai six !
− Va au diable, tu as posé les dés et je ne te paierai pas. Je crois que tu m’as grugé avec des dés pipés.
− Pas du tout, sire, je le jure sur Saint-Thomas ! »
Thibaut lui en montre d’autres ; le chapelain les regarde et les trouve bien normaux.
« Par le cul de Dieu, fait-il, c’est vrai ! J’ai perdu, c’est sûr ! Maintenant j’ai perdu tout ce que j’avais ; il ne me reste plus un sou. Et je venais juste de ramasser les troncs ! Et je n’ai rien pour me refaire si je ne joue pas mon cheval. Mais certes, je le jouerai plutôt que de ne pas récupérer mon avoir. Allez, jette les dés, et allons-y pour douze deniers ! »
Et celui qui était expert en l’art de tricher releva le défi sans se dérober. Que vous dirais-je de plus ? La fièvre du jeu avait si bien saisi le prêtre qu’il mit tout ce qu’il possédait sur le tapis et son filou de partenaire s’y prit si bien qu’il lui gagna cent sous sur le cheval.
(...)

Traduction tirée de Aubailly J.-C., Fabliaux et contes du Moyen Âge, Paris, Librairie générale française, 1987, p. 59svv.

Extrait de
Recueil de fabliaux, dits, contes en vers

Datation
Dernier tiers du XIIIe siècle

Provenance
Paris

Auteur
?

Support
Manuscrit

Dimensions
?

Conservation
Bibliothèque nationale de France, Paris
Inventaire n° Manuscrits, français 837, à 236 r°. fol. 235 r°

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